Le quartier de la gare

 

Un kilomètre et demi séparent la place d’Armes de la gare et bien des blidéens qui maugréent contre cet éloignement n’en connaissent pas les causes.

Lorsque le premier tronçon Alger-Blida, de la ligne de chemin de fer qui devait ultérieurement se prolonger sur Oran, a été mis à l’étude, le général Yusuf commandait la division d’Alger. Les ingénieurs présentèrent 2 tracés.

Le premier devait longer la route nationale de Béni-Méred à Blida ; il établissait la gare dans le quartier dit de l’orangerie, près de la route des Cinq Cyprés et de la porte El-Sebt ; il aurait été prolongé plus tard jusqu’au dessus du village de La Chiffa, par les mêmes pentes douces qu’ont empruntées par la suite la ligne sud de Blida à Djelfa.

Le second était celui qui existe aujourd’hui et qui passe par la rampe si dure de La Chiffa où 2 locomotives halètent pour monter les trains.

Ces projets, quand alors ils furent connus, ont fait aussitôt s’agiter tous les propriétaires ou acheteurs de terrains qui escomptaient de superbes bénéfices à la suite d’expropriation.

Comme nous le disons plus haut, le général Yusuf était à ce moment à la tête de la division d’Alger, et il faut savoir au préalable qu’à cette époque (1848) les commandants de division, placés sous l’autorité du Gouverneur Général, avaient toute latitude pour l’administration de leurs territoires. Le général entretenait à Blida des relations d’amitié avec les époux X… détenteurs de vastes terrains sur l’emplacement du second tracé du trajet.

Madame X…., d’une beauté  remarquable et très enjôleuse, - en tout bien tout honneur- n’eut pas de peine à déterminer le sentimental général à lui être agréable, en approuvant et en faisant adopter le second tracé. Ce dernier fut donc, un peu plus tard, mis à exécution et l’expropriation des terrains du ménage X… leur rapporta de nombreux deniers.

C’est tout simplement à cette petite intrigue que nous devons l’éloignement de la gare, qui fait d’ailleurs le bonheur des cochers et des chauffeurs de taxis. Comme quoi l’amitié d’un grand homme est un bienfait des dieux !

L’avenue de la gare, qui n’était autrefois bordée que de quelques rares villas, emprunta dans son parcours le milieu de l’ancien Oued-El-Kébir qui probablement fut détourné par le grand tremblement de terre de 1825. Les deux berges sont très visibles. Sur celle Est se trouve  la route des Cinq Cyprés ( nom d’un haouch où fut livré par le 1ier Chasseurs d’Afrique un glorieux combat le 30 décembre 1839) et sur celle Ouest se trouve le chemin de traverse de Joinville ; on peut apercevoir encore, creusé dans cette berge, près du village, l’épaulement des fours qui servaient à l’alimentation du camp dit inférieur.

 

 

Avenue de la gare à Blida

 

En remontant de la gare vers Blida, il se trouvait à l’Ouest à peu près derrière les docks Martinez, un très beau jardin cultivé par un maître jardinier-fleuriste, Mr Fontaine. On y admirait des fleurs à profusion et de toutes sortes, des essences rares, des plantes exotiques et nous nous rappelons tout particulièrement un carré d’ananas de belle venue et portant de nombreux fruits. Pourquoi donc cette culture des ananas n’a-t-elle pas été propagée à Blida puisque son acclimatement avait été démontré ? Aujourd’hui ce beau jardin a disparu ; ses carrés de fleurs ont fait place aux carottes et aux oignons.

En continuant la montée de l’avenue de la gare, on rencontrait sur la droite le parc à fourrage qui occupait un grand enclos sur le terrain duquel sont aujourd’hui édifiées de nombreuses villas et parmi elles les villas Bonello. A gauche de l’avenue se trouvait le corps de garde du parc à fourrage, sur l'emplacement occupé aujourd’hui par les bureaux de Mr Borel, agent-voyer départemental ; tout à côté la prise d’eau de la compagnie PLM qui y existe toujours.

Des terrains vagues entouraient le parc à fourrages ; le chemin dit du Marabout qui, aujourd’hui se prolonge parallèlement à l’actuelle avenue Amand  Le Goff jusqu’à la gare, évitait le parc et s'incurvait directement sur le tombeau du saint édifié sur la traverse de Joinville, près de la propriété Wouters.

Un violent incendie détruisit ce parc à fourrage en 1876 et son déplacement s’en suivit ; il fut réinstallé où il est actuellement sur une partie du terrain du « petit champ de manœuvres ». En 1879, ce nouveau parc faillit à son tour être incendié ; un engin avait été jeté par dessus le mur nord, destiné en tombant au pied d’une meule à s’allumer et à propager l’incendie. Cet engin donc, dont nous préférons ne pas dévoiler l’ingénieux agencement, rencontra heureusement dans sa chute des chardons qui amortirent le choc ; il ne remplit donc pas le rôle qu’on lui avait destiné.

En remontant toujours l’avenue de la gare, à la bifurcation de l’avenue de la  Chiffa , on rencontrait le marché El-Sebt (samedi au dimanche). Ce marché était entouré d’une belle grille, dont on peut voir encore des vestiges avenue de la Chiffa ; il occupait tout le vaste emplacement sur lequel ont été édifiées, sous la municipalité Bérard, les halles aux tabacs ; l’école de garçon du Bd Bonnier, occupe aussi une partie de l’ancien marché. Ce qui en reste actuellement sert à des terrains de jeu aux «  Boulomanes Blidéens ».

Il eut, ce marché aux bestiaux, à un moment donné, une grande prospérité. Tous les troupeaux du Sud y aboutissaient. La commune avait là une belle source de revenus. Mais un beau jour, notre voisine Boufarik en créa un à son tour ; elle baissa les taxes à percevoir et le marché de Blida, délaissé chaque semaine davantage, finit par ne plus exister qu’à l’état de souvenir. Déjà Boufarik commençait à grignoter Blida !

 

Avenue de la gare à Blida

 

L’avenue de la gare fut plus tard dénommée « avenue Amand Le Goff », nom d’un maire décédé en fonctions après 7 années de mandat (18 novembre 1901- 26 août 1908) et qui avait succédé à Mr Mauguin, battu par lui aux élections municipales précédentes et qui, lui, comptait à son actif vingt et une année de mandat municipal (22 janvier 1887-18 novembre 1901).

Ce fut, pour cet homme sympathique et aimable qu’était M Le Goff, fils d’un ancien avocat-défenseur de Blida, un grand honneur que son nom soit attaché à la plus belle artère de la ville, la plus large, la plus longue, la plus ombragée et la plus fleurie par les riantes villas  la bordant ; mais le but poursuivi par ses amis du conseil municipal d’alors, de perpétuer son souvenir, n’a été que partiellement atteint, car cette avenue , malgré sa dénomination officielle, continue à être appelée avenue de la gare. Nos facteurs des postes ont à le constater chaque jour.

 

Commandant ROCAS